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Merci la mort.

Si vous saviez que vos jours étaient comptés, que feriez vous ?

Tous les jours, sur mon vélo, je me pose cette question. Car je trouve la question de la mort pleine de sens et riche d'enseignements.

Alors je vous repose la question différemment, si vous deviez mourir prochainement, auriez vous des regrets ?

Depuis tout petit, j'ai rencontré la mort. Dans mon entourage, mes grands parents, mes oncles, mes tantes et des amis proches et moins proches.
J'ai souvent assisté aux veillées mortuaires, observant le chagrin de tous, j'ai vu le désespoir s'installer.
Et pourtant, dans cette ambiance pesante, régnait un calme qui m'apaisait. Je regardai, discrètement, ces âmes tourmentées, s'accrochant à la vie et rejetant la mort.

Et puis il y a ce départ qui m'a marqué à vie. Celle de mon grand papa maternel. Ce jour là, je n'étais pas prêt. Bien trop puérile à comprendre l'impact de ce départ. Mon corps, lui aussi trop jeune, n'était pas prêt à recevoir. Il s'est contracté jusqu'à ne plus en pouvoir, provoquant une rupture avec ma conscience. Ce jour là, j'ai fermé les yeux pour de nombreuses années.

Pour une raison que j'ai longtemps ignoré, ce décès m'a chamboulé dans toutes les dimensions de mon être. Cet homme ne parlait ni francais, ni anglais. Et moi, je ne parlais pas ses 5 langues.
Et pourtant, j'ai pu ressentir tout l'amour qui émanait de ce corps fragile. Sans communiquer verbalement, il me transmettait sa sagesse, son amour, sa conscience. Du haut de mes 13 ans, je n'avais pas idée de ce qu'il se passait.

Aujourd'hui, j'aperçois le courage dont mon grand papa a fait preuve, de se battre contre un cancer métastatique en phase terminal, jusqu'à la veille de notre départ pour la France.
Cette mort, elle m'affecte encore. Elle m'a toujours troublé, m'ôtant les mots de la bouche, les larmes me réduisant au silence.
Et, depuis que je réalise ce travail de conscience dans une quête de vérité, je peux enfin en parler. Non pas pour la tristesse qui peut s'en dégager, mais pour l'apprentissage qu'elle m'apporte.

Vivre en pleine présence, de chaque instant, jusqu'au dernier instant. C'est ce qu'a choisi mon grand papa. Par son regard, par sa tendresse et son aura, il a su transmettre cette passion pour la vie malgré l'épreuve qu'il traversait. Et c'est je crois, son héritage.

Dans mon métier, on entend souvent parler de "La vie c'est le mouvement". La mort elle, m'apprend que tout est impermanence.

Les choses ont un début, et une fin. L'histoire peut se répéter. Les cycles peuvent recommencer.

Tout comme les émotions.

Prenons un instant pour nous intéresser à ce que nous ressentons.
Chaque émotion a une durée de vie.
La joie nous allume d'un feu, puis s'éteint. La tristesse nous fait sombrer avant de se dissoudre. Même la colère, aussi intense soit elle, finit par lâcher prise. C'est un mouvement perpétuel de la vie.
Et puis il y a la mort, brute, qui ne semble jamais s'effacer.

Et pourtant, nous passons notre vie à fuir cette seule certitude.

Je vois tous les jours des patients qui dans la douleur s'inquiètent du lendemain.
Des proches qui la fuient à chaque instant. Et autrefois, chez moi aussi.

J'ai eu peur de cette mort. Celle de mon grand papa, celle de mes proches qui arrivera et de ma propre mort. Cette peur originelle était devenu la source d'une peur de perdre un être cher, une relation qui me comblait, un objet d'une valeur sentimentale, me rendant matérialiste.

Finalement, la peur de perdre la vie m'empêchait de vivre la vie.

Dans un cycle permanent de rejet et d'attache, ce mouvement perpétuel n'était en réalité qu'une mort de ma conscience.

Nous pouvons décider de lutter contre l'inéluctable. Ou faire le choix de lâcher prise.

Notre énergie est bien trop précieuse pour la diriger maladroitement.
On peut se concentrer sur la fuite, mais tôt ou tard, l'objet de cette fuite nous rattrape. Et à ce moment là, quand on regarde en arrière, quelle sera la question ?

Moi, je choisis de lâcher prise sur ce que je ne peux contrôler. Chaque matin, sur mon vélo, je me pose cette question de la mort, me ramenant à l'instant présent.

Pour que dans ce dernier regard, je puisse me dire "j'ai tout donné pour transmettre mon héritage".